Impacts sur la vie locale

IMPACTS SUR LA VIE LOCALE 

Par Michelle Guerre – EcoLogicAction 71 – Juin 2015

 

Le tourisme peut être vécu comme une agression dans certains cas. Il est parfois subi comme une invasion, mais accepté car source de revenus. C’est ce que le philosophe Yves Michaud appelle “l’envahisseur qui paye ” … Il est indiscutable que le tourisme induit  des changements spaciaux et sociétaux … Les locaux pourront avoir l’impression d’être colonisés culturellement, socialement et économiquement par les touristes. (Les Carnets Nivernais du Développement durable, p. 18)

                                                               

L’implantation d’un Center Parcs sur le territoire du Rousset n’est pas sans soulever de nombreuses interrogations quant à son impact sur la vie locale et la qualité de la vie des habitants.

Ce petit village du Rousset – après qu’il aura subi deux longues années de travaux  avec d’insistantes nuisances : allées et venues incessantes de camions, engins de travaux, boue, bruit… – va passer subitement d’un entre-soi paisible d’environ 250 habitants à la cohabitation avec l’équivalent d’une ville comme Charolles, soit 2700 personnes.

Qu’en sera-t-il de la capacité de la population locale à accepter cette intrusion et à la supporter ? Car cette transformation du milieu ne sera pas issue d’une lente mutation qui se serait étalée sur un temps long avec une accoutumance progressive. Il s’agira d’un changement radical : du jour au lendemain, la vie ne sera plus jamais la même. Au sentiment d’envahissement s’ajoutera celui d’être délogé de chez soi, ainsi qu’un possible trauma à bas bruit, générant stress et sourde hostilité, imputables aux nuisances insidieuses qui vont désormais faire partie de la vie quotidienne, aux abords du Center Parcs mais aussi de tous les villages traversés à chaque départ et arrivée des clients.

Un trafic routier plus intense engendre plus de risques d’accidents avec un accès rendu plus difficile en direction de Pouilloux, Montceau et Marizy. Actuellement, sur la route de Marizy, aux Brosses Tillots, passent en moyenne 1 voiture/10mn et le soir 2 voitures/1mn (observations personnelles). Il en ira tout autrement avec le projet Pierre et Vacances-Center Parcs.

Ce qui sera irrémédiablement affecté, c’est la qualité de vie.

Paradoxalement, les habitants de la région se trouveront dépossédés de leur patrimoine naturel : sur le site du Center Parcs, une grande partie de la forêt et des chemins ruraux ne seront plus accessibles. Envolées la quiétude de l’étang du Rousset, les paisibles journées au bord de l’eau, les parties de pêche, les sorties champignons en forêt. Les  populations locales devront trouver d’autres espaces préservés de détente alors qu’elles étaient les usagers naturels et légitimes de ces lieux.

Le site de l’étang Jarrat, magique et sauvage, choisi par PV-CP pour y construire sa bulle tropicale, en lisière de forêt et à proximité des rives, offrira à ses clients un point de vue exceptionnel. Mais depuis l’étang, que dire du spectacle infligé au promeneur qui, lui, ne verra que cette incongruité, augmentée de la nuisance sonore de la bulle. PV-CP et ses clients auront la jouissance visuelle d’un milieu naturel dont PV-CP n’est pas propriétaire mais l’ayant confisqué, de fait, à ceux qui l’ont façonné et entretenu amoureusement. Un lieu irrémédiablement saccagé et une désappropriation.

 

ENJEUX SOCIO-CULTURELS

Ce tourisme de masse, tel qu’apporté par Pierre et Vacances-Center Parcs, est aux antipodes d’un écotourisme responsable…bien que PV-CP se targue de le pratiquer !

Le tourisme de masse importe des usages différents de ceux qui ont cours dans nos campagnes (cf. document ci-dessous) : espaces communaux envahis, espaces naturels pollués par les détritus, incivilités routières…

Ce tourisme pressé détonera dans un environnement où l’on a coutume de prendre son temps.

Sur ce territoire où la confiance en son voisin est la règle, le sentiment de sécurité ira diminuant et imposera des comportements existants dans les villes, apportant méfiance et repli sur soi, altérant le lien social et l’identité. Le tourisme de masse, façon Pierre et Vacances, n’a pas vocation à se mélanger aux populations.

Des contacts humains authentiques sont rendus possibles par les petites structures d’accueil que sont les gîtes et chambres d’hôtes locales.

L’essor de cette forme d’hébergement est issu d’une clientèle urbaine éprise d’authenticité.

La clientèle habituelle – du Rousset, La Guiche, Marizy et ses environs – pourrait fuir des lieux qu’elle avait choisis pour leur tranquillité et cette désertion pourrait engendrer un sentiment de dépréciation, de dévalorisation qui pourrait devenir plus global quand, de surcroît, les personnes initialement favorables au projet, se sentiront exploitées, non respectées dans leurs conditions de travail et faiblement rémunérées.

Les 40% de résidents secondaires, qui représentent à eux seuls 78% du tourisme non marchand en Saône et Loire (par la rénovation de l’habitat et un niveau de vie souvent élevé), participent au maintien du patrimoine architectural et ont une influence positive sur la région. L’implantation d’un Center Parcs à proximité pourrait inciter ces propriétaires à revendre leur bien et contribuerait à une autre dépréciation : celle de l’immobilier. Ce qui risque d’être le cas pour le Rousset, mais aussi pour tous les lieux traversés et impactés par un trafic routier accru.

L’impact sur la vie locale concerne aussi l’aspect des routes dûment élargies avec, pour cela, la suppression des haies et fossés. Il est à craindre un abandon du fauchage raisonné aux abords du Center Parcs au profit de fauchages plus réguliers, contribuant à une artificialisation de la nature, à quoi viendra s’ajouter une signalétique voyante : enlaidissement de nombreux carrefours et des bords de route pour conduire le touriste à destination.

Il est indiscutable que le tourisme induit  des changements spaciaux et sociétaux et les locaux pourront avoir l’impression d’être colonisés culturellement, socialement et économiquement par les touristes*. (Les Carnets Nivernais du Développement durable, p 18).

Il faut admettre aussi la possibilité de l’indiscipline des touristes qui, lorsqu’ils ne sont traités que comme consommateurs sans échange sensible avec la population qui les accueille, ne respectent pas ou peu l’environnement, et ignorent souvent les limites des pâtures des exploitations agricoles.

Un développement touristique harmonieux ne peut se faire qu’en accord avec les aspirations et valeurs de ses habitants ainsi qu’avec les caractéristiques du territoire, en veillant à préserver la qualité de vie des populations.

 

Notes :

 Dans Tourisme et développement durable, le tourisme peut-il être un facteur de développement et sous quelles formes ? p. 6, HEC Paris, Chaire Social Business, Economie et Pauvreté :

Le fait que les investissements en équipements, les emplois ou l’argent généré par l’industrie touristique ne soient pas aussi bénéfiques qu’il y paraît à première vue, soulève une autre question : l’argent et l’énergie investis dans le fonctionnement du secteur touristique ne seraient-ils pas mieux employés ailleurs ? Il y a peut-être un effet d’éviction dangereux dans les investissements touristiques.

Dans Les Carnets Nivernais du Développement durable, p. 18 :

Le Tourisme, force durable d`innovation sociale, économique et territoriale

Le touriste est aussi et paradoxalement, attendu comme pouvant résoudre tous les maux et est perçu bien souvent comme le dernier rempart face au déclin inéluctable de certains lieux agricoles ou industriels en crise. Dès lors, la question qui se pose est la capacité de la “ société locale ” à accepter cette intrusion et à la supporter, voire à se l’approprier pour justement la transformer en levier de développement.

L’invention du lieu touristique repose en effet sur un contrat passé entre deux populations : les touristes et les autochtones. Ces deux groupes n’attendent pas la même chose du territoire, l’un vient dans le but de se reposer, de profiter du calme, éventuellement faire des activités sportives, l’autre travaillant le sol ou gérant une exploitation d’où il tire ses revenus. Les intérêts sont divergents et les locaux ont parfois l’impression d’être colonisés culturellement, socialement et économiquement par les touristes.

………………………

L’écotourisme : Une activité d’épanouissement collectif et individuel 

Par Luce Proulx, chercheuse au département d’études urbaines et touristiques, UQAM, Québec.

 “ La forte présence de cette population passagère a comme effet d’affaiblir le tissu social de la communauté et d’affecter le sentiment d’appartenance ”

 

Le tourisme est donc devenu une activité qui tend à négliger l’essence même de la rencontre devant être basée sur l’hospitalité traditionnelle définie par une certaine réciprocité, protection et obligation mutuelles entre visiteur et visité (Heuman, 2005), une convivialité, des contacts désirés et des rapports interpersonnels (Laplante, 1996). Dans le contexte actuel du tourisme de masse, il est difficile de savoir si l’hospitalité de la population est sincère ou devient une manœuvre enjôleuse pour vendre quelque chose. C’est le caractère éphémère  du contact qui explique, entre autres, l’existence de ces relations dépourvues de sens profond, ainsi que la condition d’ “ étrangeté ” suggérée par Nash (1989). Selon cet auteur, la population locale voit le touriste comme un étranger parmi tant d’autres qui ne fait que séjourner temporairement et qui ne partage pas le même sentiment d’attachement aux lieux ; tandis qu’à l’inverse, le touriste regarde les autochtones comme une curiosité, une attraction. Les deux parties se perçoivent  alors réciproquement comme des “ objets ” plutôt que comme des êtres humains, ce qui peut entrainer une relation où chacun agit en fonction des ses intérêts personnels. La condition d’étrangeté amène également les touristes à privilégier les relations humaines à l’intérieur de réseaux sociaux familiers, c’est-à-dire avec des gens de même origine, et à s’y confiner (Lanquar, 1985). Marc Laplante (1996) appelle ces réseaux la “ bulle sociale ”, à travers laquelle le touriste visite, découvre, commente la communauté visitée plutôt qu’en lien avec la population locale. Autrement dit, des deux côtés, il n’existerait pas de volonté de se mêler l’un à l’autre. Cette absence de volonté se combine à d’autres obstacles comme un état d’esprit différent qui oppose l’ordinaire au non ordinaire (car le tourisme met en relation un touriste qui est en situation de loisir, hors de ses obligations quotidiennes et du cadre du travail, à un hôte  qui est dans son quotidien), la langue, le niveau d’éducation, des intérêts variables, l’existence de préjugés … et la différence culturelle.

Impacts  sociaux et culturels négatifs du tourisme dans les communautés hôtes:

.  Emploi peu rémunérateur et souvent saisonnier (Gagnon, 1999)

.  Ebranlement de la structure, des valeurs et des liens familiaux traditionnels, et conflits de générations. (Lanquar, 1985 ; Guay et Lefebvre, 1995 ; Jenkins, 1997 ; Hillali, 2003)

.  Introduction de disparités socioéconomiques (Gagnon, 1999)

.  Concentration des décisions (par les gouvernements, par les tour-opérateurs de l’industrie touristique internationale, etc.) et exclusion des populations dans le processus décisionnel ; (Trottier, 1992 ; Robinson, 1999 ; Hillali, 2003)

.  Solidarité à l’intérieur de la communauté compromise par un climat de concurrence et par des pressions politiques (Brunt et Brunt, 1999 ; Gagnon, 1999).

.  Acculturation/déculturation : danger d’aliénation et d’assimilations des communautés d’accueil par le modèle culturel dominant : imitation et reproduction de comportements étrangers (Cazes, 1992 ; Guay et Lefebvre, 1995 ; Brunt et Brunt, 1999 ; Hillali, 2003)

.  Tensions entre culture locale et culture globale et/ou pénétration des modèles sociaux dominants : incidences sur les pratiques religieuses, les coutumes vestimentaires, les normes de conduite et les traditions vernaculaires ; (Cazes, 1992 ; Jenkins,  1997 ; Hillali, 2003)

.   Erosion du dialecte local et de la culture traditionnelle (Brunt et Brunt, 1999)

.  Détérioration de la qualité de vie (envahissement par les touristes, accès réduit à de beaux sites, envahissement des équipements existants (capacité de charge), encombrement/congestion des milieux de vie, inflation  des prix, usage intensif des ressources…) et apparitions de comportements déviants. (Lanquar, 1985 ; Cazes, 1992 ; Guay et Lefebvre, 1995 ; Organisation mondiale du tourisme, 1997 ; Jenkins, 1997 ; Brunt et Brunt, 1999 ; Gagnon, 1999)

.  Modification du rythme de vie (Gagnon, 1999)

.  Baisse de la cohésion sociale des territoires. (Gagnon, 1999)

.  Individualisme accru. (Guay et Lefebvre, 1995)

.  Usure et exode des habitants des lieux touristiques. (Boucher, 1998 ; Russo, 2002 ; Lorenzi, 2004)

.  Désappropriation territoriale et modification du sentiment d’appartenance à la communauté. (Gagnon, 1999)

.  Remise en question du soi, complexe d’infériorité. (Lanquar, 1985 ; Guay et Lefebvre, 1995 ; Hallili, 2003)

.  Spéculation foncière et disparition de terres. (Lanquar, 1985)

 

Sur la question de l’interaction, il faut prioriser un tourisme à petite échelle (à l’opposé d’un tourisme de masse) ainsi qu’une animation touristique ludique pour respecter la transe touristique et une hospitalité traditionnelle basée  sur la réciprocité, la convivialité et la communication. En d’autres termes, il convient de privilégier un tourisme alternatif (tourisme social, tourisme solidaire) où les valeurs sociales prédominent sur les retombées économiques.

L’écotourisme

Une expérience communautaire, c’est-à-dire qui “ planifie et facilite ” la rencontre, l’échange sous diverses formes avec la population locale, afin de mieux comprendre comment elle s’est développée en relation avec la nature en place, comment son bien-être à long terme repose sur la conservation des lieux et du patrimoine ” (Lequin et Carrière, 2003, p.33). N’est ce pas ce que l’on convoite que de réduire l’effet du contact superficiel, de l’étrangeté et de la bulle sociale, et d’accentuer l’ouverture à l’Autre ? …

Manifestation du concept de développement durable, l’écotourisme vise à assurer une plus grande part des avantages du tourisme aux communautés locales tout en préservant  l’intégrité culturelle et environnementale et l’authenticité des lieux, notamment par la protection des patrimoines naturels et des zones fragiles et en évitant de dénaturer les sites.  Un développement contrôlé ayant pour objectif d’améliorer la qualité de vie des résidents à court, moyen et long termes.  Cette perspective  sur le long terme est intéressante, car elle permet parallèlement d’assurer une stabilité dans les conditions de vie des populations (au niveau de l’emploi, de la préservation des ressources, etc.). En plus, le développement durable permettrait, théoriquement,  de garder l’authenticité du lieu et donc d’éviter la mise en spectacle…..

C’est par une démocratie participative, voire une participation des collectivités locales, que se réalisent ou doivent se réaliser les projets d’écotourisme. Cette démocratie sous-tend un système d’organisation de rapports sociaux et de valeurs partagées dans le but d’une prise en charge. Elle réfère au pouvoir d’un peuple, plutôt que d’un seul homme, et suppose une gouvernance impliquant une participation, une coopération et une responsabilisation d’acteurs variés et multiples, incluant les citoyens. D’ailleurs, ceux-ci doivent se situer au cœur du projet.  Cette gouvernance est indispensable à un développement touristique équilibré qui tient compte des intérêts des populations et du respect du système de représentation, voire de la conscience d’être. Egalement, c’est par ce processus que se bâtit une dynamique locale autour d’un développement global social, environnemental et économique. La multiplicité des acteurs permet de considérer des intérêts autres que simplement économiques. Ceci assure aussi un meilleur contrôle sur la préservation et la conservation des environnements, en plus de favoriser le développement d’un sentiment d’appartenance réduisant ainsi l’influence de “ l’effet de démonstration ” discuté précédemment. Une telle gouvernance agit finalement sur l’habilitation (empowerment) et la formation des citoyens et la sensibilisation des décideurs.

………………………………