LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DE PIERRE & VACANCES
Par Hervé Bellimaz – Août 2016
Suite à un cadeau paternel — un vaste domaine skiable dans les Alpes à Avoriaz, commune de Morzine, Gérard Brémond lance entre 1965 et 1967 son entreprise qui deviendra le Groupe Pierre et Vacances : il comprend aujourd’hui 50 000 hébergements répartis en 300 sites et relevant de plusieurs marques et sous-groupes: Adagio, Sénioriales, Villages Vacances, Villages Nature, Meava et Center Parcs. Plusieurs centaines de sociétés dans toute l’Europe et d’autres dans le monde constituent ce groupe. L’apprentissage du fondateur s’est fait dans l’entreprise de BTP de son père où il a acquis toutes les ficelles des métiers nécessaires à ses ambitions : promoteur immobilier, agent immobilier, ingénieur financier, ingénieur fiscal, exploitant, gestionnaire, lobbyiste, propagandiste, publiciste.
La compréhension du business model de PV-CP repose sur celle de la situation. Quels sont les besoins et les moyens de PV-CP et de ses cibles dans un contexte où l’entreprise n’a ni les fonds propres ni la capacité d’emprunter les sommes énormes requises pour construire et croître ?
Les besoins de P&V sont : terrains, résidences, équipements, touristes, investisseurs, permis et droits.
Les moyens seront ceux capables de déclencher l’attractivité par les loisirs, les gains et la croissance : le désir des jeux, l’appât du profit, la création d’emplois.
Les cibles seront : les touristes, les investisseurs, les législateurs, les détenteurs du foncier, les élus, les chômeurs.
Attirer les touristes pour attirer les investisseurs: ce que les touristes veulent, ils doivent l’avoir.
Un site beau et rare, de la mode, du ludique, avec une prise en charge totale et tout à disposition ; le client n’est-il pas le roi et les enfants des petits princes de sang ? Le paradis pour horizon. Car le touriste s’ennuie, veut s’éclater, être ailleurs, dans un autre lieu et un autre temps. Après le Spa, le jacuzzi, le golf, la piscine, les animations, il faut une rivière sauvage artificielle, des arbres à eau comme les chats ont leurs arbres à chat en appartement, des piscine à remous, des toboggans aquatiques de plus en plus longs, des mini-fermes à l’époque des grandes exploitations céréalières et animales, des daines sans mâles, des geais dressés imprégnés de l’homme, de l’espace à l’époque de sa raréfaction, de la forêt au temps de la déforestation, une ambiance tropicale avec palmiers et autres plantes exotiques dans un pays à climat semi-continental (1), une résidence pour toutes saisons dans une forêt qui doit être verte toute l’année (donc pas de feuillus mais des résineux) au moment où la ville explose. En résulte un tourisme (et un touriste) irresponsable qui se donne une bonne conscience en triant ses déchets, en faisant du vélo dans un parc anthropisé à 100 % et en lisant des panneaux d’information sur l’écologie. Et PV-CP de confisquer les plus beaux lieux qui existent encore. Avec ses collègues et concurrents Club Med, Huttopia et autres, le pillage est bien parti et le faux est à prendre pour du vrai.
Une gigantesque et répétitive publicité, un marketing sans entrave, une politique des prix et une promotion agressive, une couverture médiatique multi-supports seront les armes pour entraîner et formater les touristes. Si le touriste vient, l’investisseur viendra.
Attirer les investisseurs.
Les investisseurs, de quatre types, seront :
– attirés par 3 espoirs : le retour sur investissements, le profit et l’emploi ;
– attirés par 3 mécanismes : la NPPV, les défiscalisations, la VEFA ;
– tenus par des baux commerciaux.
Premier type d’investisseur : le particulier. Régressant en pourcentage aujourd’hui, il est attiré par la fameuse NPPV : Nouvelle Propriété Pierre et Vacances (2). Voici ses grandes lignes : l’avance par PV-CP de la TVA (20%), si le bien est conservé 20 ans; la gestion de la location du bien pour le propriétaire qui ne s’occupe de rien et reçoit une rente que le bien soit occupé ou non ; la possibilité pour lui de résider quelques semaines dans son bien ; la signature d’un bail commercial liant PV-CP et le propriétaire (3).
D’autres facteurs attractifs sont en place : les statuts de LMNP et LMP (Location en Meublé Non Professionnel ou Professionnel) et autres modes de défiscalisation mis en place par les députés et les gouvernements (Scellier, Censi-Bouvard, Pinel) ; les reports de déficit d’une année sur l’autre jusqu’à apurement. En somme, PV-CP est le locataire; le touriste, occupant passager, est sous-locataire ; et le propriétaire est rétribué. Ces règles existent car l’État, les gouvernements et les chambres législatives l’ont voulues et permises.
Le second type d’investisseur est l’investisseur institutionnel : banques, assurance, SCII, etc. C’est le plus prisé aujourd’hui par PV-CP car il achète par lot (100 unités ou plus, voire la totalité). Cela réduit la durée de commercialisation, donne à ses investisseurs un prix de gros, ils ont la possibilité de détenir ces biens à partir d’un paradis fiscal. Leur part est de plus en plus importante au fur et à mesure que P&V croît, comme si c’était in fine leur propre croissance qui se faisait. On trouve Groupama, Eurosic, Maif, etc. Quand on fait le cumul des puissances financières de ces organismes, la situation des rapports de force entre investisseurs/PV-CP semble être l’inverse de ce qu’il était entre particuliers et PV-CP : autant PV-CP domine et fait ce qu’il veut, sans risques et sans gants, avec les petits particuliers, car il est le maître de la situation; autant c’est l’inverse avec les gros investisseurs ; les investissements qu’ils font dans PV-CP font partie de leurs diversifications immobilières et touristiques . La chaîne de prédation est en place, PV-CP qui est aussi un prédateur est alors un intermédiaire et à ce titre est soit l’agent de plus gros que lui, soit la proie, ce qui pourrait bien être son destin avec l’arrivée du conglomérat surpuissant de Hong Kong HNA, dans son capital et sa direction.
Le troisième type d’investisseur est la collectivité publique. Pour les Center Parcs du Jura, de la Saône-et-Loire et de la Vienne, ce sont des SEM(4) qui mettent l’argent public en oeuvre et qui seront propriétaires effectives au bout de 20 ans. La création d’une SEM fait partie d’une manœuvre économique et politique. Économique pour la mobilisation des fonds publics(5), politique pour faire avancer les dossiers sur le plan des permis et autorisations et auprès de l’opinion publique. Les collectivités locales (communes, départements, régions) mettent des fonds et empruntent pour un retour sur investissement aléatoire et au-delà de 20 ans et dans l’espoir d’une activité économique bénéfique pour la collectivité et de quelques emplois supplémentaires, sans jamais calculer l’investissement par emploi !
Il y a un quatrième acteur : l’État au statut particulier et ambigu, car il est à la fois investisseur, par le biais de la CDC, législateur, garant de la légalité, tuteur par ses ministères du tourisme et chambres consulaires. En somme juge et partie.
Ne jamais être propriétaire mais seulement gestionnaire et exploitant en disposant des biens par des baux commerciaux.
Le foncier illustre bien cet aspect. Des sociétés et du personnel sont chargés de cette branche capitale pour PV-CP, son métier de promoteur immobilier commençant là. Le principal fournisseur est la CDC et le Crédit Agricole, premiers détenteurs du foncier en France. Les détenteurs peuvent être aussi des communes, le domaine public ou des propriétaires privés. Le premier aspect qui interpelle est la destination des forêts, l’implication de l’État, la gestion financière à courte vue de la CDC et du CA. Un second aspect est la gestion du foncier des Center Parcs pour la partie non construite : cette assiette foncière est vendue pour 1 euro à l’AFUL(6) qui est gérée par le syndic maison de PV-CP, la Sogire. Ce qui en fait de facto un bien foncier qui n’appartient plus à PV-CP, mais dont il reste le décideur. Ce dernier point confirme sa stratégie constante et unique sans cesse réaffirmée : ne pas être propriétaire mais seulement gestionnaire et exploitant. La propriété détenue est aux environs de 1 %. En cas d’achat de foncier ou d’immobilier pour profiter des opportunités qui se présentent et assurer sa croissance, le groupe revendra les murs, cela est constant et permet à la fois : la rentrée de fonds, le désengagement des risques liés à la propriété et la croissance de son portefeuille de gestionnaire-exploitant. Il y a donc deux parties actives dans les affaires liées à PV-CP : les détenteurs des murs et PV-CP, leurs liens étant régis par la conclusion d’un bail commercial. La croissance de PV-CP se fait donc avec l’argent des propriétaires : particuliers, détenteurs de murs professionnels, collectivités, en gérant leurs biens via les baux commerciaux.
Mobiliser l’argent des autres en amont de la livraison par la VEFA
La pratique de la VEFA concerne tous les programmes immobiliers, en l’occurrence les propriétaires des cottages et la SEM. VEFA signifie Vente en l’État de Futur Achèvement. C’est une forme de construction-vente où les fonds nécessaires à la construction sont appelés auprès du propriétaire au cours de la construction. Cela permet à PV-CP de ne pas lancer les travaux avant d’avoir une garantie de débouchés et de n’avoir rien à avancer pour financer le projet. C’est une vente sur plan. Dès ce stade, l’AFUL est constituée, son syndic est en place et le bail commercial est signé. L’affaire est faite, le tour est joué.
Résumé du modèle PV-CP :
– Pratiquer un tourisme hors saisonnalité, misant sur les lieux les plus beaux et les plus rares, sur le ludique, le tropical, la mise en scène de la nature et de sa protection.
– Attirer par les mécanismes de défiscalisation, les astuces comptables, et la NPPV., avec la complicité de l’État.
– Capter les fonds par la pratique des VEFA assorti d’un bail commercial ferrant le propriétaire.
– Pratiquer un immobilier touristique basé sur la construction-vente ou achat-revente, afin d’engranger du cash, de ne pas courir les risques et responsabilités du propriétaire.
– Capter les fonds des particuliers, des collectivités publiques.
– Fournir une diversification aux portefeuilles des très gros investisseurs et placeurs, ce qui pourrait bien être les servir prioritairement.
– Tenir un discours moderniste sur la nature et l’écologie.
NOTES.
(1) Ce qu’est en fait le clou des Center Parcs qu’est l’Aquamundo chauffé toute l’année à 29°.
(2) NPPV est aussi le nom générique des sociétés qui pratiquent pour le compte de PV les titrisations qui portent sur ses programmes immobiliers. Nous sommes à la NPPV 3.
(3) PV-CP est aussi un grand pratiquant de la multipropriété, qui représente encore aujourd’hui 10 % de ses logements en gestion.
(4) Dans une SEM il y a entre 51 et 85 % de fonds publics (fonds propres et emprunts), le reste est un montage entre le privé et la CDC (Caisse des Dépôts et Consignations); notons que les fonds publics seront aussi utilisés pour les voiries, assainissements, adductions d’eau, formations aux emplois, etc.
(5) La mise de fonds publics tout compris pour le Jura sera entre 60 et 80 millions.
(6) AFUL = Association Foncière Urbaine Libre, chargée des fonctions de syndic de copropriété qui émane de son sein